Mars 2004


Le meuble « Boulle » à travers les âges: Des meubles de prestige, de Louis XIV à Napoléon III.

André Charles Boulle (Paris,1642-1732), reçu maître ébéniste en 1664 était également fondeur, dessinateur, sculpteur. Il put cumuler ses différents talents sans devoir répondre aux règlements corporatistes grâce à son titre de « Premier ébéniste du Roi ». Ses ateliers se trouvaient au Louvre.

La marqueterie « Boulle », superposition de décors d’écaille et de laiton, n’est pas une invention de celui-ci, même si ce terme « marqueterie Boulle » est devenu un terme générique depuis. En effet, les artisans Hollandais utilisaient déjà cette technique depuis le deuxième quart du XVllème siècle. On a également dit que A.C.Boulle était l’inventeur de la commode. Il a plutôt développé sa forme traditionnelle en France, mais celle-ci vient d’Italie au départ (milieu du XVllème siècle).

Le principe même de cette marqueterie est le découpage à la scie d’une plaque d’écaille et d’une plaque de laiton superposées, le résultat étant que l’on obtenait deux fonds et deux décors a plaquer qui se définissent ainsi : en « première partie » (fond d’écaille avec ornementation de laiton) et en « contrepartie » (fond de laiton avec ornementation d’écaille), ce qui permettait de réaliser les meubles par paires.

Au lieu d’être incrustées, ces marqueteries étaient assemblées à l’envers sur un support papier et étaient ensuite collées -à la colle d’os- sur le bâti du meuble préalablement préparé. Ce décor collé, on enlevait ce papier afin de pouvoir polir le meuble.

L’écaille, de forme bombée, était chauffée au feu ou à l’eau bouillante afin de la rendre malléable et de lui donner la forme désirée. Après refroidissement , elle retrouvait sa dureté originelle. Le décor appliqué sur le laiton était gravé au burin.

Parfois, des motifs en ivoire, corne ou nacre étaient utilisés en marqueterie sur le fond d’écaille.

Les grands ornemanistes de l’époque fournirent des dessins de décors destinés a être réaliser sur les meubles « Boulle », tel le célèbre ornemaniste Jean ler Bérain (1640-1711) qui avait le titre de « dessinateur de la chambre et du cabinet du roi ». Son décor de référence pour ce type de meubles est une perspective d’architecture sur colonnettes garnies de feuillages peuplés d’oiseaux, de singes et de grotesques. Les gravures de Claude Gillot (1673-1722), un autre peintre et ornemaniste, maître d’Antoine Watteau, furent prises comme modèles de décors pour le mobilier en marqueterie « Boulle ». Il s’inspirait principalement de la « Comedia dell’arte ».

D’autres ateliers d’ébénistes contemporains d’ A.C.Boulle copièrent les oeuvres sorties de son atelier. On peut voir régulièrement dans le commerce d’art des bureaux « mazarins » d’époque Louis XIV en marqueterie Boulle de bonne qualité, mais qui sont loin de la perfection des meubles attribués à l’atelier du maître .

L’Angletterre possède de très beaux meubles d’André-Charles Boulle, arrivés suite aux tristes actions de la « bande noire » sous la Révolution.

L’ébéniste Londonien Le Gaigneur réalisa des meubles de ce style pour le marché anglais.

À la fin du XVllème et au XVlllème siècle, l’écaille de la tortue « Caret » (carnivore) était employée. Au XlXème siècle , on employa l’écaille de tortue « franche » (herbivore) qui avait une épaisseur d’écaille plus fine avec des taches bien nettes ; les décors de laiton aux XVllème et XVlllème siècles étaient d’une découpe plus épaisse qu’au XlXème siècle .

L’atelier très productif d’André Charles Boulle fut détruit suite à un incendie en 1720. Ses quatre fils continuèrent son oeuvre sans avoir l’esprit inventif de leur père. Ils délaissèrent la fabrication de ce type de marqueterie, passée de mode, et celle-ci tomba en désuétude durant une cinquantaine d’années.

Le célèbre marchand-mercier Claude-François Julliot (1727-1794), qui faisait partie d’une dynastie établie de « vendeurs de tout , faiseurs de rien »[V1], a été l’instigateur du renouveau du meuble « Boulle » à la fin du XVlllème siècle. Julliot était aussi rédacteur de catalogues de ventes publiques. À son initiative, des ébénistes tels que Etienne Levasseur (1721-1798) reçu maître en 1767 et qui fut élève de l’un des fils d’A.C.Boulle, restaura de nombreux meubles sortis de l’atelier du maître. Il en réalisa également des copies avec des adaptations de style Louis XVI. Philippe Claude Montigny (1734-1800) reçu maître en 1766 restaura d’abord, réalisa ensuite nombre de pastiches de meubles « Boulle » sous l’époque Louis XVI.

Il était d’usage au XVlllème siècle que les ébénistes s’occupant de restaurations de meubles anciens apposent leur estampille sur ceux-ci. C’est pourquoi l’on retrouve les estampilles de Levasseur et Montigny sur des meubles d’A.C.Boulle ou de style « Boulle » d’époque Louis XIV : en tant que pasticheurs, ils avaient une profonde connaissance des techniques de marqueterie d’écaille et de laiton sur fond d’ébène ou de palissandre de Rio.

Sous l’époque Empire, le fils de Georges Jacob, qui avait sous sa direction plusieurs centaines d’artisans sous l’enseigne Jacob-Desmalter (il prit le nom de Desmalter en souvenir de la propriété familiale en Bourgogne), réalisa aussi nombre de meubles de style Boulle.

En Angleterre sous l’époque Victorienne, des firmes telles que Town et Emanuel fabriquèrent également des meubles de ce type. À la fin du XIXème siècle, la plupart des pays ouest-européens eurent leurs fabricants de meubles de ce style. En effet, sous l’époque Napoléon III , la production de ce type de meubles était quasiment industrielle et l’on retrouvait un meuble « Boulle » dans presque tous les intérieurs bourgeois. On était cependant loin alors du génie de l’ébéniste de Louis XIV qui a été le grand « metteur à la mode » du style de marqueterie qui porte maintenant son nom. Plus qu’un artisan connaissant parfaitement toutes les techniques propres à son art , ce fut un grand artiste[V2]. Il est amusant de noter que le « Premier ébéniste » du roi de France était d’origine Hollandaise, comme ce fut le cas des ébénistes « français » de renom tout au long du XVlllème siècle : la plupart étaient originaires d’Allemagne ou de Hollande.

Il existe des meubles « Boulle » d’époque Napoléon III de très belle qualité, ornés de beaux bronzes dorés. Ces meubles restent en très bon état de conservation ou supportent bien les restaurations si elles sont nécessaires. Mais la production la plus courante, ornée la plupart du temps de bronzes vernis (voir lettre mensuelle septembre 2003 pour différenciation) résiste moins bien : les tranches de placage étant beaucoup plus fines, on passe rapidement à travers la matière en cas de restauration .

Près de cent fabricants de « Boulle » sont répertoriés rien que pour la France dans la deuxième moitié du XlXème siècle .

La firme américaine « Kimbel et Cabus » d’Anthony Kimbel et Joseph Cabus, établie à New-york (7 et 9 East 20 street) dans la deuxième moitié du XlXème siècle, réalisa également des meubles « Boulle ».

L’amateur voulant acquérir ce style de meubles fabriqués à la fin du XlXème siècle, peut en trouver actuellement à des prix intéressants. Qu’il soit exigeant sur la qualité avant tout, et il pourra réaliser une plus value certaine. En effet ce type de meubles connaît actuellement un « creux » après leur hausse significative qui a eu lieu à peu près entre 1975 et 1990. D’ici une bonne dizaine d’années, ils connaîtront très certainement un regain d’intérêt (uniquement pour les plus beaux), le marché étant de plus en plus sélectif.

Un conseil : quitte à payer plus cher, soyez attentif à la qualité, achetez un meuble avec lequel vous aimerez vivre et n’hésitez pas à faire appel à un expert agréé (repris dans une association imposant une déontologie) pour un conseil en cas de doute. Il vaut parfois mieux payer un peu plus et être sûr de son acquisition, que de perdre tout en réalisant un mauvais achat parce qu’il existe des copies modernes qui ont floué nombre « d’amateurs ».

Et enfin, veillez à avoir un taux d’humidité suffisant dans votre intérieur pour la bonne conservation de votre mobilier. Il existe des humidificateurs à des prix accessibles.

Vivian Miessen

 

[V1]Appellation péjorative courante au XVlllème siècle donnée aux marchands-merciers .